Dès la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, les carrières parisiennes furent un lieu privilégié d’étude de la faune et la flore cavernicoles ; on cherchait, en particulier, à déterminer l’influence du milieu sur le développement des êtres vivants. Le laboratoire du Jardin des Plantes poussa très loin les études sur les organismes vivants.
Biologie des profondeurs
Par un puits découvert en 1895 au niveau de l’ancienne orangerie du Jardin des Plantes, Armand Viré accéda, en compagnie de Louis Mémain, à un réseau d’anciennes carrières de calcaire. Saisissant le parti qu’il pouvait tirer de ce site, il fit aménager ce secteur en un laboratoire souterrain facilement accessible. Les travaux débutèrent dès mars 1896 grâce à l’obligeance du directeur du Muséum, Alphonse Milne-Edwards, et l’inauguration eut lieu en avril 1897. Dans ce qui devint le « laboratoire des catacombes », Armand Viré étudia l’influence du milieu sur le monde vivant, questionnant sans relâche les liens unissant le « monde lucicole au monde obscuricole ».
Afin de ne pas perturber leurs expériences, les chercheurs limitaient les sources de lumière au minimum et descendaient dans ce laboratoire, réduit à quelque 20 mètres carrés, seulement éclairés par une bougie placée dans une lampe sourde au verre teinté de rouge. Des aquariums étaient alimentés en eau de source tandis que les eaux usées étaient déversées dans un puits abandonné. Armand Viré prélevait en surface des insectes qu’il faisait se reproduire sous terre pour étudier l’apparition des caractères cavernicoles. La fonction crée-t-elle l’organe ? Le manque de lumière favorisait la disparition des pigments et la régression des organes de la vision, mais provoquait, en compensation, une hypertrophie des organes tactiles (poils, antennes), olfactifs et auditifs.
Le Musée installa des aquariums similaires en surface dans un local pour comparer les différences de développement liées à la lumière et pour évaluer si les animaux cavernicoles élevés à la lumière du jour pouvaient acquérir les caractéristiques associées à cet environnement.
Bilan scientifique
Alors qu’on l’avait créé pour fonctionner « jusqu’au XXI siècle », la grande crue de 1910 affecta grandement ce site d’expérimentation, qui ne survécut pas longtemps. Dès 1912, Armand Viré réalisa que son laboratoire était trop proche de la surface et souffrait de variations de température importantes, ce qui affectait le résultat de ses expériences. La mobilisation du chercheur lors du conflit mondial de 1914 eut définitivement raison du laboratoire souterrain.
Si la postérité de l’expérience du Jardin des Plantes reste incertaine, on peut lui reconnaître un émule ; en 1909-1910, Henri Gadeau de Kerville avait fait, lui aussi, aménager dans une ancienne carrière de Normandie un laboratoire de « spéléobiologie expérimentale »… mais son activité périclita rapidement. Ce ne fut qu’en février 1948 que le CNRS créa un laboratoire souterrain à Moulis (Ariège), toujours en activité, s’intéressant aux modifications du développement induites par les contraintes du milieu souterrain.
L’évolution souterraine des espèces fut rapidement et sévèrement battues en brèche, d’abord par Racovitza puis par René Jeannel, qui contestèrent la valeur scientifique de ses observations.
Ce bio spéléologue cherchait à explorer au-delà de la simple collecte et classification des espèces. Il voulait étudier la biologie, la physiologie et le comportement des créatures souterraines. Malheureusement, il ne reçut que peu de reconnaissances pour ses efforts. Pourtant, plusieurs espèces cavernicoles ont rendu hommage à ce précurseur en étant baptisées d’après lui, telles que le Niphargus virei (collecté par Armand Viré dans des grottes jurassiennes), le Stenasellus virei (un isopode) ou le Cascosphoerma virei (un sphæromien).
Source : Atlas du Paris souterrain, sous la direction d’Alain Clément et Gilles Thomas, 2016